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MAURRASSIANNA
Octobre-décembre 2007 - 2ème
année – n°5
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Défense
de l’Occident et le monde postmoderne - par Thierry Giaccardi
À
Cristina Solé Castells
Ces
jours qui te semblent vides
Et perdus dans l’univers
Ont des racines avides
Qui travaillent les déserts.
Paul Valéry
À
plus forte raison, quand ce qu’il faut combattre
est quelque mal intérieur, quand l’adversaire est
un concitoyen, faut-il conduire chaque coup de
manière à ne pas ruiner la vie de l’ensemble !
Charles Maurras
Quatre-vingtième
anniversaire de la parution de Défense de l’Occident
Nous
nous apprêtons à célébrer à juste titre le quatre-vingtième
anniversaire de la publication à la librairie Plon de Défense de
l'Occident d’Henri Massis. L'ouvrage commençait par cette célèbre
phrase : « le destin de la civilisation d'Occident, le destin de l'homme
tout court, sont aujourd'hui menacés ». On peut sans doute trouver
aujourd’hui ce genre de déclarations péremptoires, tant du point de vue de
la forme que de celui du fond. Néanmoins l’ouvrage
eut un retentissement certain durant les années de l'entre-deux-guerres, et
il serait regrettable que nous ne lui accordions pas l'attention qu'il mérite
en ce début de siècle.
Certains
hommes sont davantage sensibles que d’autres aux changements qu'ils
perçoivent comme des bouleversements. Ils sentent bien que le tissu social
peut être facilement déchiré et, pour finir, qu’il peut se défaire
complètement. D'autres y trouvent un motif de jubilation : l'attrait du
nouveau excite les sens. Ce sont les tenants de la tradition du nouveau, oxymoron
traduisant assez bien le rapport qu’ils veulent établir entre l’homme et
la réalité extérieure, fait de fulgurances mais aussi de contradictions
intenables. Dans le climat d'idées actuel les premiers ne sont guère
pris au sérieux, à moins qu'ils ne soient des hommes de science. Les seconds
ont acquis dès la seconde moitié du XXe siècle une prépondérance qu'il
serait difficile de leur disputer. Or, il n'y a pas que le tissu social qui
suscite des inquiétudes aujourd’hui : notre écosystème est menacé. C'est
une opinion fort répandue et que personne ne songe vraiment à contester.
Menacé l’environnement auquel l’homme ne peut pourtant pas échapper ?
Massis affirme en 1927 que « le destin de l'homme tout court » est
menacé : serait-il dans le vrai ? Il rappelle incidemment dans son essai que
« le point de départ commun de toutes les réflexions sur un tel
sujet » est l'ouvrage de Paul Valéry, aujourd'hui injustement méconnu,
La Crise de l'Esprit. Mais de quelles réflexions s’agit-il ? Non
pas de celles se nourrissant de « cette terreur de l'avenir, qui ne
trahissent que les désordres de cerveaux anxieux et défaits par
avance » et que Massis rejette dès les premières pages. Car il voit
bien qu'à « prophétiser », c'est le verbe qu'il utilise, un
avenir désastreux on sape la confiance au point « de favoriser
l'abandon ». Massis explicite son propos : il s'agit de défendre
l'Occident, c'est-à-dire l'Europe. Point capital sur lequel nous allons
revenir : pour la tradition à laquelle il se rattache, l’Occident c’est l’Europe,
dont Valéry se demandait si elle deviendrait « ce qu’elle est en
réalité, c’est-à-dire : un petit cap du continent asiatique ».
L’Occident
face aux menaces : la nécessité d’un cadre de pensée.
Pour
la majorité des individus au XXIe siècle, l’Occident a trois composantes
majeures : l’Europe, l’Amérique du nord et l’Amérique latine. C’est,
par exemple, le point de vue de Samuel Huntington qui rappelle que « la
clé de la réussite européenne pour créer le premier vrai empire global
entre 1500 et 1750 fut le progrès dans la possibilité de répandre la
guerre qu’on a appelée la révolution militaire ». Mais, pour d’autres,
l’Occident serait constitué d’au moins deux composantes majeures
antagonistes : c’est le point de vue d’Alain de Benoist qui parle d’une
« vieille tendance de fond », à laquelle nous ne croyons pas, et
qui précise que « dès leurs origines, en effet, les Etats-Unis ont eu
un compte à régler avec l’Europe ». Ce qui est à la fois vrai
puisque l’Amérique a cherché à s’émanciper de la tutelle de la
couronne d’Angleterre, et faux puisqu’elle s’est toujours considérée
jusqu’à récemment comme une excroissance de l’Europe.
Massis
s’intéresse à tous les dangers qui pourraient affaiblir l’Europe. Il
affirme avec une certaine solennité : « nous ne méconnaissons pas pour
autant les menaces mortelles qui pèsent sur l'Europe ». Or, selon lui,
les hommes d'esprit sont mieux préparés que les gouvernants. Ces derniers
semblent ne prendre conscience des menaces qu'après que celles-ci sont
devenues des dangers imminents. D’où ce jugement : « les
gouvernants eux-mêmes, si dénués d'imagination qu'on les suppose, si
enclins qu'ils soient à méconnaître les réalités spirituelles, à ne pas
tenir compte de ces crises de sentiments et d'idées qui s'élaborent au plus
intime des âmes où les grands changements historiques se préparent et
s'annoncent, les gouvernants semblent soudain s'apercevoir du danger ».
En revanche, les hommes d'esprit qui se livrent aux méditations et qui
connaissent les « réalités spirituelles » seraient les mieux
préparés : c'est une affirmation radicale. Comment Massis définit-il ces
hommes d'esprit ? Comme des « observateurs, attentifs aux accords des
idées et des faits, [qui] ont pu justement tirer [ces prévisions trop
précises] de l'expérience, de la nature des choses et des analogies de
l'histoire ». De tout cela, nous pouvons nous-mêmes tirer plusieurs
idées directrices.
La
première, c'est l'opposition nette entre le gouvernant et l'homme d'esprit,
opposition classique de type weberien dont Alain de Benoist perpétue la
tradition, et qui n'est pas dénuée de risques, par exemple celui d'être
ignoré. L'homme d'esprit qu'on prendra soin de distinguer toutefois de
l'intellectuel s'en rapproche par sa volonté de se distancer de l'exercice du
pouvoir. La deuxième, c'est que l'homme d'esprit médite, c'est un aspect
important. Qu'est-ce, en effet, qu'un homme qui médite c’est-à-dire qui se
livre à « la science subtile des multiples possibles de l’homme »
? Dans le tumulte des guerres de ce début du XXIe siècle mais aussi dans le
contexte de la globalisation, -laquelle se définit avant tout par le rôle
grandissant et opprimant que joue le capitalisme financier soucieux du profit
à court terme-, on doit en effet se poser la question : l'homme, pris en
étau entre l'arme et la marchandise, peut-il songer à méditer ? Or, Massis
insiste bien sur ce point apparemment paradoxal : celui qui voit les choses
telles qu'elles sont c'est l'homme retranché des vicissitudes grossières.
Enfin, le point de vue massisien, en accord avec la plupart des grands esprits
de son temps, pose trois prémisses ayant trait à la valeur de l'expérience,
à la nature des choses, et, enfin, aux analogies de l'histoire. Il
entend ainsi soumettre l'intelligence humaine à un cadre de pensée
fondamental à l'intérieur duquel l'homme peut profiter de son expérience et
la transmettre aux plus jeunes générations, a). Or, b), cette expérience ne
peut se mener à bien que parce qu'il existe une nature des choses, une
réalité dure, indépendamment de l’observateur. Ce qui veut dire que
l'interprétation ne crée pas le fait, contrairement à ce qu'affirme
Foucault et tous les maîtres du soupçon avant lui. Enfin, c), l'homme peut
tirer de l'histoire des analogies qui lui seront utiles dans la conduite de
ses affaires, ce qui replace la science de l'histoire au centre de ses
réflexions. Ce mot d'analogie, du reste, mériterait à lui seul une ample
littérature car c’est un mode de pensée permettant de distinguer, sous la
profusion des formes, des rapports, ressemblances, différences, que l’homme
peut pleinement saisir à partir de modèles préexistants dont il se
sert. Ce mode et ces modèles si essentiels ont été battus en brèche par la
pensée postmoderne qui n’y voit que des récits plus ou moins enfantins.
La
postmodernité comme critique radicale de l’Occident prend sa source dans le
bolchevisme.
Il
est assez facile de constater, en effet, que ce cadre de pensée a été
rejeté, en particulier par les sciences sociales. Il faudrait alors se
demander s'il a disparu parce qu'il s'est révélé désuet, naïf, pour le
postmoderne, mais, dans ce cas, il faudra que ce dernier nous explique en quoi
l'expérience n'aurait pas de valeur, les choses n'auraient pas de nature et
l'histoire n'offrirait pas d'analogies. Ou si, plus sordidement, il a été
remplacé par un ou plusieurs systèmes d’idées à la suite de luttes
inéquitables ou de guerres qui ont épuisé les peuples européens, voire
anéanti leurs hommes d'esprit (Péguy mort au champ de bataille mais aussi le
carcan intellectuel se mettant peu à peu en place dans la France de l’après-guerre).
Massis semble accorder une place privilégiée au bolchevisme comme point d’origine
de ce mouvement suicidaire pour l’esprit européen et dont le point final
est cette culture de la pénitence. Pour lui, c'est le bolchevisme qui a
dressé les peuples d'Asie et d'Afrique “contre la civilisation d'Occident”.
C'est historiquement vrai, mais on doit ajouter qu'il a aussi contribué à
dresser une multitude d'Européens contre leur propre civilisation, (un grand
nombre sont même allés jusqu'à trahir les intérêts nationaux sans
sourciller). Il est bien difficile, pour nous qui vivons dans cette période
inaugurée par la chute du mur de Berlin, de mesurer à quel point le
bolchevisme exerça une fascination mortifère sur des millions d'hommes à un
moment crucial du progrès humain et bouleversa le cours de l'histoire
européenne (mais aussi russe et chinoise). Il est tentant, et sans doute
exact pour une grande part, d'expliquer l'état actuel de la crise de
conscience européenne par le rôle que joua le communisme, bien plus
destructeur que le nazisme dans la mesure où il affecta un plus grand
nombre de nations sur une plus longue durée. Les deux idéologies ont du
reste comme point commun, voire comme matrice, l'univers concentrationnaire.
L'Europe
d'aujourd'hui ne pourra pas se comprendre sans une réflexion approfondie sur
le communisme à l’instar de celle qu’elle a menée sur le nazisme. Il est
vrai que cette réflexion a déjà été inaugurée par de grands penseurs (on
pense à Nolte et à Alain de Benoist, mais aussi au Livre noir sur le
communisme). Mais elle peine toujours à prendre l'ampleur que la nature
et l’échelle de cette entreprise meurtrière exigent. Notre société est
en effet réticente à l'idée de poursuivre une réflexion sur une idéologie
s'appuyant bruyamment sur le principe d'égalité, (même si elle justifia les
pires exactions dont les peuples furent en premier lieu les victimes).
L’esprit
humain et la corruption du monde.
Mais
c'est sans doute sur le rôle de l'esprit et son opposition à la matière que
Massis, à la suite d'un Maurras, se montre d'une étonnante perspicacité, et
il faut bien le dire, assez radical. Massis note que « c’est à
l'heure même où les progrès de la technique se flattaient de réaliser
l'unité du genre humain que se produit la plus complète rupture d'équilibre
qu'on ait jamais connue. » Et surtout cette observation qui nous semble
toujours aussi actuelle : « la facilité des communications matérielles
qui devait, selon l'idéologie démocratique, réaliser l'union des âmes, a
bien pu uniformiser le monde, elle ne l'a pas uni : car “la
matière est essentiellement diviseuse et les hommes ne communiquent que dans
l'immatériel“ ». Massis aurait-il, davantage que d'autres, aperçu le
destin tragique d'une Europe livrée aux caprices de la société de
consommation, gouvernée par des financiers et des marchands n’ayant
que mépris pour les nations et l'univers subtil de leurs traditions ?
Écoutons ce qu’il affirme en 1927 à la lumière de l'unification et de
l'expansion européennes d'aujourd'hui : « Ce qu'il y a au bout de cette
stupide avidité de puissance matérielle qui a détourné l'Occident de sa
véritable mission, nous le voyons. “Cerveau d'un vaste corps“, dont elle
ne commande plus les mouvements, l'Europe est dans un état contre-nature, où
elle ne saurait rester. » Image saisissante dont on voit bien la
pertinence aujourd'hui en 2007. Ce thème de la gloutonnerie, c’est-à-dire
d’un dérèglement des sens, mais aussi d'un géant frappé de
stupidité, amorphe, ne peuvent pas nous laisser indifférents, nous qui
sommes confrontés à un élargissement vertigineux de l’Union européenne
selon une logique bureaucratique et mercantile proprement effrayante. Alain de
Benoist l’exprime encore de cette façon :
L’alternative
devant laquelle on se trouve est en fait toujours la même : soit l’Europe,
donnant la priorité à la libéralisation, épouse la dynamique d’un grand
marché visant à s’élargir le plus possible, et en ce cas l’influence
américaine y deviendra prépondérante, soit elle s’appuie sur une logique
d’approfondissement de ses structures d’intégration politique, dans une
perspective essentiellement continentale et avec l’intention de balancer le
poids des Etats-Unis. En ce cas, elle peut espérer devenir à la fois une
puissance, un pôle régulateur de la mondialisation et un projet de
civilisation.
Mais
cette manière d’appréhender les choses se comprend encore mieux si
on prend conscience de toute l'importance du rôle de l'esprit chez Massis. Il
remarque ainsi que les différentes nationalités entendent asservir
« l'essence même de l'esprit ». Or, celui-ci a « sa
finalité propre » qu'il nous importe d'affirmer quelle que soit la
situation ou l’air du temps. On rappellera cette phrase de saint Paul qui
résume parfaitement la question : « la chair a des désirs contraires
à ceux de l’esprit, et l’esprit en a de contraires à ceux de la
chair ». C'est bien en effet aux « forces de l'esprit » que
Massis s'adresse en intitulant son ouvrage Défense de l'Occident, et
non à un nationalisme grossier, chauvin. Toutefois, il prend soin d’en
limiter la portée à « l'héritage latin », ce qui ne manque pas
de soulever certains problèmes et nous paraît quelque peu décevant aujourd’hui.
C'est sans doute une limite incompréhensible pour nous, mais qu'il faut
pourtant essayer de comprendre dans le contexte de l’époque de Massis,
élève de Barrès et surtout de Maurras, tous deux notoirement méfiants
envers tout ce qui avait trait à la culture allemande par exemple. Et, plus
encore dans le contexte de deux guerres : la guerre franco-prussienne et la
Grande Guerre. D'où sans doute une lecture hâtive d'Oswald Spengler et la
volonté d'opposer « l'idée rationnelle de l'homme », que l'on
trouverait chez les Latins, « aux forces instinctives de sa
nature », que l'on trouverait chez les Germains, et, plus à l’Est,
chez les Orientaux. Manifestement, Massis a mal lu Barrès si attentif
« aux puissances du sentiment » et n’a guère voulu comprendre
Spengler, lequel affirme pourtant dans son introduction au Déclin de l’Occident
« que l’existence d’Athènes, Florence, Paris importe davantage que
Lo-Yang et de Pataliputra à la culture d’Occident, on le comprend
aisément ».
Plus encore, Massis reprend l'idée chez Curtius, qu'il connaît bien, d'un
« stabilisme de notre conception du monde » antagoniste
« d'une théorie de la civilisation "dynamique", où
[l]'individualisme originel s'identifie au rythme même du cosmos, par une
sorte de "communion organique" ».
On
trouve ici un débat intellectuel tout à fait actuel, qui, repris parfois
avec une terminologie quelque peu différente, a donné lieu à toute une
littérature d’idées non seulement en France et dans certains pays
européens, en particulier en Italie et en Espagne, mais aussi aux Etats-Unis.
De ce point de vue, on peut affirmer que l'école d'Huntington mais aussi
celle de Fukuyama, sont les dignes héritières de l'école française (dont
Massis est un des représentants les plus connus). Et il ne serait pas si
absurde que cela de les rassembler toutes sous le terme d’ « école
néo-thomiste »,
si on veut bien se rappeler que Massis envisage cette manière de penser en la
définissant par le primat de la rationalité (afin de comprendre la
manifestation divine) et du rôle que joue la culture, donc d'un certain
« intellectualisme ». Après tout, Huntington n’affirme-t-il pas
qu’il accorde une place déterminante au fait que « les identités
culturelles qui, à un niveau grossier, sont des identités de civilisation,
déterminent les structures de cohésion, de désintégration et de conflits
dans le monde » ? En revanche, tout le courant qu'on peut
peut-être faire remonter à l’Allemand Novalis, et déjà parce qu'il est
le contemporain de la Révolution française, et qu’il écrivait que
« partout se déploie une vaste intuition du libre-arbitre créateur, de
l'illimité, de la magnificence infinie, du caractère sacré et de
l'omnipotence de l'humanité intérieure », tout ce courant Massis le
rejette au nom d'une incompatibilité rédhibitoire. Tresmontant aurait pu
dire qu’il « verse dans une conception magique et fétichiste de la
matière, en lui prêtant toutes les “propriétés” nécessaires pour
produire la vie et la conscience ».
Pourtant, ce courant existe toujours en France et il est un des rares, avec le
christianisme mais aussi avec l’altermondialisme, à s’opposer à l’uniformisation
de la planète que dénonçait à juste titre Massis en son temps. Il nous
semble que son représentant le plus brillant en est Alain de Benoist,
toujours soucieux de « reconnaissance de l’unité et de la poéticité
du monde » et qui a affirmé souscrire à la phrase de Malraux :
« la tâche du prochain siècle, en face de la plus terrible menace qu’ait
connue l’humanité, va être d’y réintégrer les dieux ».
Courants
européens : vers une réconciliation tardive en ce début de XXIe siècle ?
Se
pose dès lors pour nous la question de savoir si ces deux courants sont
nécessairement incompatibles car ils cherchent tous deux à sauvegarder la
civilisation européenne.Après
tout, si on veut bien s’arrêter sur l’exemple du journal Europe-Action
à laquelle participèrent Venner et de Benoist, – journal qui joua un
rôle important dans la formulation de certaines idées, en particulier de
celles de la Nouvelle Droite –, on se rappellera qu’ Europe-Action
donna naissance à un mouvement politique et qu’Henri Massis se retrouva
dans son comité de soutien (avec Rougier et Monnerot). Malgré tout,
pour Massis, la réponse semble aller de soi : ces deux courants sont
irréductibles l'un à l'autre. Or, c'est la sensibilité de Massis qui s'est
imposée en France : la tradition catholique avait puissamment préparé le
terrain intellectuel mais c’est surtout le génie de Maurras qui a tranché.
Le classicisme a exclu le romantisme en France. En Allemagne, il aurait pu
en aller autrement, mais la folie du nazisme a mis un terme à une
expérience originale qui aurait pu changer radicalement l'approche des
traditions européennes et de la présence de l’homme dans le monde (et dont
Heidegger personnifie bien le génie). C’est en Italie que l’expérience a
pu être menée à bien, sous certains aspects du moins, durant le ventennio,
et ce, malgré les tentatives grotesques tardives de transformer le mouvement
fasciste en un univers totalitaire. Il faut en effet rappeler que dans la Doctrine
du fascisme, Mussolini entendait affirmer une « conception
spiritualiste issue de la réaction générale du siècle contre le
positivisme faible et matérialiste du XIXe siècle ». Or il est
difficile de faire plus catholique que l’Italie du début du XXe siècle. On
voit bien ici le rôle qu’a pu jouer le « grand homme » dans l’évolution
des idées et des mouvements politiques. Maurras en bon Français tient, lui,
à la distinction entre pouvoir intellectuel et pouvoir politique. En Italie,
Mussolini cherche à unir les deux, avec l’aide discrète de Gentile.
Il
n'est donc pas vraiment étonnant que Massis s'en soit pris autant à
Keyserling, par exemple, et à son Ecole de Sagesse. Ce qui est pour le coup
étonnant c'est que Massis méconnaisse qu'une telle école ait été, sinon
aussi vigoureuse, du moins assez active en France. Elle s’est épanouie avec
tout le courant spiritualiste français. Barrès, encore une fois, nous semble
ici résumer assez bien la situation (et peut-être aussi l'aveuglement
français sur l'attrait qu'exerça l'Orient dans les pays latins). Son ami
Stanislas de Guaïta aurait dû pourtant le lui faire admettre. L’Orient a
souvent occupé les esprits dans l’Europe latine et a exercé une profonde
fascination, du moins jusqu’au milieu du XIXe siècle. L’étonnant eût
été le contraire, dans un pays où le catholicisme fut la religion
officielle pendant de si nombreux siècles et reste la première religion du
pays.
Pourquoi
lire aujourd’hui Défense de l’Occident ?
Ce
qui ne manque pas de surprendre, dans ces conditions, c'est le
caractère érudit de l'ouvrage de Massis et sa connaissance poussée de la
littérature d'idées allemande témoignant, comme c’est souvent le cas, d’une
fascination ambiguë. Alors comment expliquer le silence gêné accueillant
aujourd’hui Défense de l’Occident ? Nous l’avons déjà
suggéré, c’est sa conception toute latine, romaine pourrait-on dire, de
l'esprit, et ses préjugés pour tout ce qui s'en éloigne, à commencer par
la tradition luthérienne (Massis a écrit un livre fort révélateur s’intitulant
Luther prophète du germanisme). Elle peut se comprendre par certains
côtés, très peu il faut bien le dire, car la tradition latine fut
elle-même vivement critiquée en Allemagne. Massis cite cette phrase d'Herder
ayant valeur d'exemple : « les Latins ont apporté au monde une nuit
dévastatrice ». On a en effet oublié la frénésie avec laquelle
certains intellectuels européens, jusqu'au XXe siècle, s'en sont pris à la
« romanité » dont tout le monde voyait bien qu'elle avait atteint
« son maximum d'intensité et de puissance dans la pensée
française ».
Le
dialogue vigoureux qui eut lieu au lendemain de la Grande Guerre entre les
lettrés français et allemands et que suivit attentivement Massis, est pour
le coup assez exemplaire. Il mériterait aujourd’hui encore des études
approfondies, en particulier sur la place qu’entendaient accorder certains
Allemands à l’Orient et son refus assez net chez les Français,
hormis quelques exceptions notables, par exemple Romain Rolland et l’école
guénonienne. C’est ainsi que Massis se plaît à citer, malheureusement en
l’approuvant, cette phrase affligeante de Jacques Rivière : « il n’y
a que nous (les Français) dans le monde, je le dis froidement, qui sachions
encore penser ». Le mérite d’en revenir à ce dialogue, pour nous
Français qui accordons une place de choix et sans doute illusoire
dans les relations qu’entretiennent la France et l’Allemagne au sein de l’Union
européenne, c’est de replacer les choses dans une juste perspective. L’aversion
chez nous pour la culture latine (les humanités) ne datent pas de Mai
68. Curtius affirme en effet que « la jeune Allemagne regarde vers l’Est
et tourne le dos à l’Occident », entendons par là la culture
gréco-latine. Or, la pensée allemande exerça une grande influence sur la
France du XIXe siècle et surtout de l’après-guerre. De fil en aiguille, on
peut retrouver sans doute plusieurs causes principales à un même phénomène
de rejet (Marx, Freud, l’école de Francfort).
Les
pages qui suivent sur la Russie sont tout aussi remarquables et tout aussi
visionnaires. Visionnaire, le mot est lâché. Massis entrevoit l’avenir
de l’Europe et ce dernier n’est guère réjouissant car les Européens ont
abandonné l’esprit. Il faut bien insister sur ce point. Massis défend le
primat de l’esprit sur la matière, on dirait aujourd’hui sur la
marchandise et la technique. Mais il se fait aussi l’apologiste de la forme
pure : c’est ici sans doute qu’on peut entrevoir la différence
fondamentale entre les deux écoles dont nous parlions plus haut. Il ne faut
pas se laisser tromper par la langue de l’essai. Les intuitions, voire les
fulgurances, n’en reposent pas moins sur une grande connaissance des
affaires de ce monde. Ainsi Massis résume assez bien notre relation avec la
Russie en percevant deux mouvements contraires. Tantôt la Russie se
voit « comme l’avant-garde de l’Europe en Asie » et tantôt
« comme l’avant-garde de l’Asie en Europe ». Tout est dit,
limpidement. Pour ceux qui s’intéressent aux relations entre l’Europe, la
Russie et l’Asie, on relira les propos du prince Troubetzkoi que cite Massis
: « Ne nous regardez pas comme les fils de l’Europe, dépourvue de
talents ... Elle n’est pas notre mère ... Notre voie tout indiquée se
dirige vers l’Orient ... La Russie a péché d’avoir méconnu son
orientalisme et de s’être laissée leurrer par des illusions
occidentales. » On pourrait suspecter Massis de nourrir une antipathie
encore plus grande à l’égard de la Russie, mais il suffit de lire
les pages qu’il a écrites sur la solitude dont eut à souffrir le peuple
russe pour comprendre qu’il n’en est rien. Certes, il ne s’agit
que d’une vue sur un grand peuple, mais à relire ces pages on saisit d’un
coup tout un mode de pensée que nous avons perdu et qui a pourtant ses
vertus. C’est, il nous semble, dans l’affirmation suivante qu’il
apparaît clairement. Après avoir épilogué sur la solitude russe, Massis
affirme : « aussi l’intelligence russe ne trouva-t-elle nulle part ce
patrimoine d’idées héréditaires, de notions acquises, qui relient le
présent au passé, assurent à l’esprit son aisance et son jeu. » Les
pages les plus nombreuses de l’ouvrage, sans doute aussi les plus
inspirantes mais pas nécessairement les moins discutables, sont celles qui
traitent de la religion orthodoxe justement. Il y a là une cohérence
impeccable chez Massis qui a en point de mire l’esprit, toujours.
« Qui veut comprendre l’étrange destinée du peuple russe doit
interroger son histoire religieuse » affirme-t-il.
S’il
y a cohérence, il n’est pas certain que ces réflexions sur la religion
retiendront l’attention du lecteur postmoderne qui a appris à se méfier de
la religion. C’est pourtant là où éclate le talent de Massis, même si on
est libre de ne pas le suivre dans ses conclusions, sans doute un peu
hâtives, sur la religion orthodoxe, dont il veut démontrer curieusement qu’elle
entretiendrait des liens coupables avec les églises protestantes. Comme si
ces dernières étaient en soi coupables de grands crimes et pouvaient ainsi
jeter un discrédit sur tout ce qu’elles touchaient. Mais il est vrai que
Massis écrit avant les rencontres d’Assise, dont on a fêté l’année
dernière le vingtième anniversaire. Or l’esprit d’Assise comme on
dit, n’est-ce pas justement de proclamer la nécessité du dialogue tout en
affirmant son identité ?
On rappellera pour mémoire ces phrases profondes du pape Jean Paul II qui
précèdent le décalogue d’Assise pour la paix :
Je
souhaite que l'esprit et l'engagement d'Assise conduisent tous les hommes de
bonne volonté à la recherche de la vérité, de la justice, de la liberté,
de l'amour, afin que toute personne humaine puisse jouir de ses droits
inaliénables, et chaque peuple, de la paix.
Nous
trouvons donc ici les deux adversaires les plus dangereux de l’Europe d’après
Massis : le germanisme et le slavisme. Pour l’auteur de la Défense de l’Occident,
l’Extrême-Orient ne représente pas vraiment un danger imminent. C’est
que l’Orient à son époque est toujours sous le joug des grandes puissances
européennes. Même si ce qu’il en dit mérite toujours d’être relu et
discuté, on voit bien que pour lui c’est encore l’informe, voire le
chaos. Comme tel, il a certainement un pouvoir de destruction mais pas de
contamination. L’Extrême-Orient fourmille trop de vies humaines, de
traditions, de passions, pour être pris vraiment au sérieux. D’où
la phrase de Chesterton que Massis cite et qui a bien valeur d’exemple :
« il y a en Asie un grand démon qui essaie de tout fondre dans le même
creuset et qui représente tout baignant dans une immense mare ». Massis
apparaît dans toutes ces pages comme l’anti-Guénon, et même s’il ne le
cite pas, on sent son ombre sur les commentaires acerbes de Massis,
pourfendeur du « masque oriental ».
Élégie
européenne
On
pourra alors se demander quelles conclusions on peut tirer de vues parfois si
partiales qu’elles pourraient en devenir indigestes. C’est qu’en parlant
de l’Orient, Massis parle merveilleusement, comme son maître Maurras, de l’Occident.
Ce qu’il cherche c’est à lui donner une forme afin de faire cesser ce
constat sur lequel nous devons nous-mêmes réfléchir : le constat « qu’il
n’y a plus de hiérarchie dans l’homme, que l’instinct partout dispute
à l’intelligence sa primauté, et qu’à l’exemple de l’individu
moderne l’Europe d’aujourd’hui est livrée à l’anarchie de ses
tendances multiformes et rivales si l’on s’obstine de parti pris à fermer
les yeux sur l’origine de tels méfaits ». C’est donc le souci de la
forme qui anime tout ce courant, d’une forme plutôt : la forme classique.
Elle est, à notre avis, indispensable à l’Occident, et à la base de la
seule critique possible des méfaits du monde postmoderne, lequel a cherché
à imposer d’une manière ambiguë la notion de simulacre. Et même si elle
n’est pas la seule, elle nous semble, comme à l’époque de Massis, la
plus importante pour préserver l’esprit européen ou occidental. Maurras ne
dit pas autre chose lorsqu’il écrit en approfondissant la question :
Toutes
les traditions ne se valent pas.
Comme
entre les peuples et les époques qu’elles expriment, comme entre les hommes
de ces temps et de ces nations, on peut marquer entre elles des différences
et, par suite, des primautés dont nul autre que la nature n’est coupable,
à moins que l’on n’en charge, comme il est possible, l’histoire ou la
politique. La critique n’a pas pour mission de redresser les injustices de
la fortune, mais d’en apprécier les effets.
Nous
préférons quant à nous, qui appartenons à une autre génération,
« esprit occidental ». Et contrairement à Massis et à d’autres,
nous reprenons volontiers la définition qu’en donne Huntington,
citée plus haut. Notre acquiescement n’est nullement l’expression d’un
asservissement mais, au contraire, la volonté d’embrasser la réalité d’un
monde ayant changé d’épicentre, non nécessairement d’esprit. Mais c’est
surtout une autre définition d’Huntington qui nous interpelle. Le
professeur d’Harvard rappelle que le terme d’Occident « est
universellement utilisé pour désigner ce qu’on appelait jadis la
chrétienté occidentale ». Nous ne pensons pas que Massis se fût
formalisé d’une telle définition. Pour notre part, elle nous convient
assez et elle mérite en effet d’être défendue. On l’aura sans doute
compris, Défense de l’Occident devrait être lu et commenté avec
passion en ce début de siècle. Souhaitons que notre modeste contribution
servira à une nouvelle réception du texte et à en dégager l’esprit pour
notre temps. Car c’est par l’esprit que tous les courants européens et
américains (du nord comme du sud) se retrouveront afin de faire fructifier
notre civilisation. Et c’est l’esprit seul qui nous permet de cheminer
avec espoir dans ce labyrinthe qu’est le monde terrestre (et dont une des
plus belles représentations se trouve dans la cathédrale de Chartres).
Le
labyrinthe justement dont Alain de Benoist dit qu’il symbolise un
« enchevêtrement de méandres », qu’il oppose aux
« hiérarchies univoques » et qui est le « modèle d’une
démarche tournoyante qui n’atteint son but qu’après de longs
détours. »
Thierry
Giaccardi
Ce
texte est paru sur le site du Cercle Jeune France à l’été 2007.
Contribution
au tombeau de Pierre Pujo - par Jean Madiran
Le
plus grand mérite de Pierre Pujo journaliste restera sans doute d'avoir fait
reparaître dans la presse le nom glorieux de L’Action française. Il
y a été un éditorialiste prudent, toujours estimable et souvent
pertinent ; inégal bien sûr au grand quotidien de Charles Maurras, Léon
Daudet et Jacques Bainville, mais nullement indigne de sa mémoire.
Son
initiative peut-être la plus discutée avait été en 2002, à l'élection
présidentielle, de soutenir la candidature de Chevènement, patriote mais
jacobin. Il y avait pourtant, dans l'histoire de l'Action française, un
fameux président : Léon Daudet avait en 1920 soutenu la candidature, que
combattait Maurras, de Clemenceau, patriote mais jacobin. L'un et l'autre
affichant un même scepticisme critique à l'égard de l'élection du chef de
l'Etat.
Cinquante-cinq
ans après la mort de Charles Maurras, il existe toujours une école
maurrassienne. Et même deux.
D'une
part, une école maurrassienne au sens large : tous les esprits auxquels
Maurras « a donné, disait-il, de la vie et du mouvement », et
qu'il a métaphoriquement invités à venir après sa mort converser et rêver
à l'ombre fière des cyprès de son Jardin qui s'est souvenu.
Et
d'autre part, une école maurrassienne au sens strict, héritière légitime
de l'Action française : Pierre Pujo en a été l'animateur et
l'administrateur, en cela il a été, comme il voulait l'être, d'une
scrupuleuse fidélité littérale à la doctrine de Charles Maurras, à sa
physique sociale, à son politique d'abord, à son nationalisme intégral,
c'est-à-dire royaliste. Il a ainsi contribué à maintenir dans l'actualité
des travaux et des jours le contact intellectuel et la continuité vivante
avec la grande aventure exemplaire à l'Action française (une école, un
journal, une armée) : elle demeure une singulière source d'inspiration
politico-religieuse. Pendant près d'un demi-siècle Pierre Pujo y a tenu avec
honneur, avec sagesse, sa place au premier rang. Il méritait d'être aimé
plus qu'il ne l'a été.
Article
paru dans Présent le 13 novembre 2007
Maurras,
un symboliste aussi ! - par Hilaire de Crémiers
« Si
peu que soit mon art, il ne laissera pas de donner ainsi quelque joie à qui y
cherchera, non plus la cloche, le griffon, l'écu, le lys en fleur, le coq, l’aiguière,
la colombe ni les autres symboles de cette industrie primitive, mais les
traits d'une simple et pieuse philosophie. Ces traits se feront voir dans leur
naturel quand vous présenterez les pages de ces Mythes et de ces Fabliaux
au clair intérieur de vos réflexions. Ils se révéleront sous un mince
tissu de phrases, dont je peux dire que je n'ai pas écrit une seule sans
l'illustrer comme d'un filigrane de sens secrets ».
Ainsi
s'exprime Charles Maurras dans la préface de son Chemin de Paradis,
datée de mai 1894. Autant dire qu'il semble exiger pour sa première oeuvre
littéraire une intelligente compréhension de sa signification symbolique.
Or, il est curieux de constater que jamais l'interprétation symbolique ni
même vraiment allégorique n'a été tentée pour essayer de donner une
explication cohérente à ses contes du Chemin de Paradis, comme
d'ailleurs à toute cette partie de son oeuvre non négligeable où il use de
ce style caché et constamment métaphorique, que ce soit des petits bijoux de
prose comme L'Étang de Marthe et les hauteurs d'Aristarché, que ce
soit de façon quasi générale sa poésie. Le sens n'étant pas
immédiatement perçu chez un homme qui était censé aimer la seule clarté
intelligible, l'attention se rebutait.
Et
puis Maurras était Maurras, se disait-on. Il devait donc constamment
démontrer rationnellement. N'avait-il pas assez prétendu restaurer « un
art intellectuel « et assez fustigé les dégénérés de « l'art
décadent », symbolistes compris, surtout ceux du Nord, dont les
Ibsen, les Huysmans traité de « Batave », pour sa
symbolique jugée de mauvais goût – oui, même après sa conversation au
catholicisme ! –, les Théodor de Wizewa et autres conteurs de contes
néo-chrétiens faits pour décérébrer les héritiers du plus noble des
héritiers classiques ? Certes, le jeune Maurras avait eu un faible pour les
poètes symbolistes, Verlaine surtout, toujours aimé, Baudelaire, mais
renié, cependant il avait fait son choix, et le symbolisme ne pouvait se
vivre qu'avec la reviviscence poétique appelée « romane »
d'un Moréas, d'un La Tailhède et d'autres aux noms moins connus, et quant au
« culte du moi » il n'était capable d'exalter la vigueur
d'un vrai lyrisme qu'avec un Barrès !
Soit.
Et cette explication semblait suffisante. Tellement suffisante.
Eh
bien non ! Maurras offre et offrira encore bien des surprises. Mais, il est
vrai, ce prétendu rationaliste a l'art de cacher ces ténébreuses surprises
dans des mystères de lumière. Il y mettait son art ; il les chargeait de
forces symboliques qui ne pouvaient irradier et signifier des vérités
formidables. « C'est un abri et un bouclier que la lumière ;
elle est impénétrable aux curiosités du commun. Les mystères qu'elle
recouvre ne seront jamais divulgués. Je lui ai confié les miens... »,
dit-il encore dans la préface de son Chemin de Paradis.
Et
donc Maurras a utilisé l'art de ses contemporains ; il l'a porté à un
degré d'achèvement hautement classique et d'une ironie supérieure.
Symbolique plus que les symbolistes n'ont eux-mêmes osé l'être et pour
dire, non des insanités insignifiantes – reproche, injuste sans doute, fait
à un Mallarmé reconnu pourtant pour sa fluidité parnassienne – mais
« de grandes et terribles leçons » dignes d'un Bossuet. Eh
oui ! Sait-on que Maurras a écrit des contes païens pour répondre aux Contes
chrétiens de Teodor de Wyzewa : même format de livre, même
présentation. L'un fait un Jésus d'un écoeurant humanitarisme sans plus
rien de divin ; l'autre se sert de symboles païens pour venger la majesté de
la divinité outragée !
Les
contes de Maurras comme ses poésies roulent continuellement sur les mêmes
thèmes symboliques de la lune et du soleil, de l'étang et de la mer, de la
montagne et de la ville, des pins et des cyprès, pour dire toujours la même
leçon : qu'on ne bafoue pas en vain les limites de l'ordre, surtout sous un
prétexte religieux au risque de perdre l'homme et de détruire le sacré.
Contes d'apocalypse ? Qui méritent donc d'être révélés, selon le sens du
mot ? Oui, sans aucun doute, pour redonner à Maurras toute sa dimension, y
compris symbolique, qui le restitue dans son époque.
Article
paru dans Politique Magazine (7 rue Constance, 75018 Paris), n° 58,
décembre 2007.
Dieu
et le roi - correspondance Maurras-Mgr Penon
En
1970, sous le titre La République ou le Roi, avait été publiée la
très volumineuse correspondance échangée entre Maurice Barrès et Charles
Maurras : des centaines de lettres qui, rassemblées, offrent, sur près
de quatre décennies, un panorama unique sur le monde littéraire et le monde
politique.
Aujourd’hui,
sous un titre proche, Dieu et le roi, paraît la vaste correspondance
que Maurras a échangée tout au long de sa vie avec l’abbé Penon, son
premier maître, devenu, sur le tard, évêque de Moulins. Certaines ont été
perdues, mais le plus grand nombre ont été conservées. Elles voient enfin
le jour dans une édition intelligemment présentée et minutieusement
annotée par Axel Tisserand : quelque trois cents lettres (165 de Mgr
Penon et 130 de Maurras) écrites entre 1883 à 1928, inégalement
réparties selon les périodes.
L’abbé
Penon était professeur au petit séminaire d’Aix-en-Provence et au collège
du Sacré-Cœur de la même ville. Il eut le jeune Maurras comme élève.
Celui-ci entrait dans l’adolescence et allait bientôt connaître une crise
intellectuelle, morale et religieuse qui ira en s’aggravant toujours plus
(non sans lien avec la surdité qui le frappe). L’abbé Penon était pour
lui un maître, qui lui dispense des cours particuliers, de grec et de latin,
mais aussi un témoin et un confident de sa crise spirituelle.
La
première lettre conservée est celle que le jeune Maurras, âgé de quinze
ans, envoie à son professeur qui vient de perdre sa mère. Lettre qui
témoigne d’une grande maturité, d’un style déjà bien maîtrisé et,
aussi d’une foi religieuse qui semble encore vive.
Le
2 décembre 1885, le jeune Maurras arrive à Paris, avec sa mère. Dans les
dix années qui suivent, la correspondance avec l’abbé Penon resté à Aix
est très suivie : plus de la moitié des lettres qui nous sont
parvenues. Comme le dit Axel Tisserand dans sa longue présentation, c’est
une période très importante pour Maurras, c’est à la fois « la fin
de sa formation intellectuelle », son « émancipation » (de
l’abbé Penon), et aussi les années de son « apprentissage de la vie
parisienne – littéraire et journalistique. »
Puis,
la fondation de l’Action française, et l’engagement politique de Maurras,
réduisent la correspondance. Ce qui ne signifie pas que l’abbé Penon –
même quand il sera devenu évêque de Moulins – soit en désaccord avec son
ancien élève. Au contraire, on peut parler d’une influence politique de
Maurras sur son ancien maître. En février 1901, l’abbé Penon remercie
Maurras d’avoir contribué à le guérir du « fétichisme de la
liberté abstraite » et de l’avoir ramené « à la conception
plus vraie, plus profonde, que je trouvais autrefois paradoxale chez nos
grands penseurs catholiques. »
Mais
on aurait tort de ne voir en l’abbé puis Mgr Penon qu’un clerc admiratif
des dons si grands de son ancien protégé. Au fur et à mesure qu’il le
voit s’éloigner des vérités chrétiennes, dans son comportement comme
dans ses conceptions, il essaie de le ramener sur des voies plus limpides. Il
n’aura de cesse de tenter de sortir son « cher vilain païen »,
comme il l’appelle en 1896, de l’agnosticisme.
Maurras,
continue à appeler « cher Maître » celui qui est devenu évêque
de Moulins. Ce n’est pas flagornerie. Plus de trente ans après leur
première rencontre, il continue à se confier à lui, à lui faire part de
ses raisons. Mgr Penon, lui, attend « le jour où les prières auront
rendu Maurras à Dieu et Dieu à Maurras » (30.12.1913), mais, en même
temps, il trouve « parfaitement absurde et ridicule l’assertion […]
que la lecture de L’A.F. fait perdre la foi ».
En
1913-1914, après la première tentative de condamnation de l’Action
Française par le Vatican, puis en 1926-1928, après la condamnation de l’A.F.
par Pie XI, Mgr Penon prend sa défense. Mais il reconnaît que la question
est « très grave » (17.8.1928), c’est-à-dire qu’il n’exempte
par Maurras et le journal monarchiste de tout reproche. Il estime, par
exemple, que le premier livre de Maurras, Le Chemin de Paradis, n’aurait
jamais dû être réédité (p. 604).
Il
y aurait bien d’autres faits, sentiments et idées à relever dans cette
correspondance Maurras-Penon. C’est un document sans précédent qui
éclaire un demi-siècle d’histoire intellectuelle, politique et religieuse
de la IIIe République.
Yves
Chiron
Dieu
et le Roi. Correspondance entre Charles Maurras et l’abbé Penon (1883-1928),
Editions Privat, 752 pages, 30 euros.
C’est à saint Thomas que nous devons surtout cette distinction entre
la raison et la foi tout en en percevant leur accord. L’esprit européen est
indiscutablement thomiste.
Claude Tresmontant, Les problèmes de l’athéisme, Ed. du
Seuil, 1972.
Il n’est pas certain qu’Alain de Benoist se reconnaisse complètement dans
un tel courant.
On n'insistera pas ici sur le caractère « oriental » des Saintes
Ecritures tant cette idée va de soi. Un certain nombre de chrétiens s’offensent
lorsqu’on leur en fait la remarque car bien souvent on confond la portée
universelle(aliste) d’un texte avec son enracinement terrestre. L’universel,
cela va de soi, s’exprime toujours dans une langue compréhensible par l’homme,
en l’occurence ici l’hébreu et le grec. De cette remarque il s’en
suit qu’un texte ne peut pas renfermer tout l’universel, penser le contraire
est une aberration qui n’arrête pourtant pas certains esprits fébriles. Et
corollairement, que l’esprit échappe toujours à la lettre, d’une façon ou
d’une autre.
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