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MAURRASSIANNA Une lettre d’Henri Rambaud au cardinal Gerlier - Documents inédits Henri Rambaud (1899-1974), lyonnais, professeur de lettres, écrivain, fut un grand critique et une grande voix catholique. Il a collaboré à de nombreuses revues : la Revue universelle, le Bulletin des Lettres, Itinéraires (où il publia, notamment, à partir d’avril 1970, son « Journal des temps difficiles »). Itinéraires lui a consacré un numéro d’hommage en septembre-octobre 1974 (n° 186, avec des textes de Jean Madiran, V.-H. Debidour, Luce Quenette, Roger Joseph, Emile Poulat, Louis Salleron, le P. Gerentet). Emile Poulat a réédité son hommage, dans une version corrigée et augmentée, dans La question religieuse et ses convergences au XXe siècle (Berg international, 2005). Voir aussi la notice de Bruno Dumons « Rambaud Henri » in Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, t. 6 « Lyon », Beauchesne,1994, pages 358-359. Henri Rambaud avait fait la connaissance de Maurras en 1921 et la relation qui s’ouvrit entre les deux hommes, malgré l’écart d’une génération, fut celle non pas de maître à disciple mais peut être résumée par la formule employée par Roger Joseph « Le Maître et le professeur ». Henri Rambaud fut un de ceux qui ont le mieux approché la poésie de Maurras. Lorsque L’Action française se fût repliée à Lyon, en 1940, les relations entre les deux hommes se firent plus étroites, malgré les désaccords politiques. L’admiration d’Henri Rambaud pour la poésie de Maurras et la confiance que mettait le second dans le jugement et le savoir du premier rendirent le lien plus étroit. En poésie, « cet attachement, a écrit Roger Joseph, ira même parfois, de pair avec un rôle de conseiller bénévole, jusqu’à servir de révélateur, de détonateur ou de catalyseur d’une inspiration encore diffuse. » Quand, à l’été 1944, la Libération de Lyon prit une tournure insurrectionnelle et que des menaces très sérieuses commencèrent à peser sur la vie de Maurras, il accepta, à la mi-août, de quitter son domicile de la rue Franklin, pour se réfugier, avec Maurice Pujo, dans un petit appartement de la rue Vaubécour, au 35. Il devenait le voisin d’Henri Rambaud qui habitait au 32. Le 8 septembre, Maurras et Pujo furent arrêtés, conduits successivement à la Préfecture, au fort Montluc puis à l’hôpital-prison de l’Antiquaille. Le 12 septembre, ils furent transférés à la maison d’arrêt de Saint-Paul-Saint-Joseph en attente de leurs procès. La correspondance avec Henri Rambaud se poursuivit, comme en témoignent les Lettres de Prison (Flammarion, 1958). Henri Rambaud essaya aussi d’intéresser le cardinal Gerlier, archevêque de Lyon, au sort des prisonniers. Lorsque, début octobre, le cardinal visita les prisons de Lyon, il rencontra Maurras et Pujo. Maurras demanda à l’archevêque de Lyon d’intercéder auprès du directeur des prisons de Lyon pour qu’on l’autorise à faire venir des livres. Le cardinal intervint, l’autorisation fut accordée. La lettre, inédite, publiée ici, date de quelques jours plus tard et fait allusion à une rencontre entre Henri Rambaud et le cardinal Gerlier. Le critique lyonnais tente d’éclairer l’archevêque de Lyon sur la situation intérieure de Maurras et sur sa position religieuse. Il l’illustre par deux extraits de lettres de Charles Maurras à sœur Madeleine de Saint-Joseph, du Carmel de Lisieux, lettres datées de 1937. La correspondance entre le Carmel de Lisieux et Charles Maurras ou Robert de Boisfleury a duré d’août 1936 à l’été 1940. René Rancœur a exposé le rôle important d’intermédiaire et d’intercesseur, y compris spirituel, joué par le Carmel de Lisieux[1]. Peu des lettres adressées par Maurras au Carmel ont été publiées[2]. Les deux fragments cités par Henri Rambaud sont, sauf erreur de ma part, inédits. L’excellent connaisseur de l’œuvre et de la pensée de Maurras qui nous a communiqué ces documents juge, à raison, que ces deux extraits de lettres de Maurras, comme la lettre d’Henri Rambaud, ont « une valeur de confirmation de ce que nous pensons et savons sur l’âme de Maurras ». On sera attentif, parmi d’autres éléments importants, à cette affirmation de Maurras : « Je ne suis ni un athée, … ni un irréligieux ». Yves Chiron
Deux extraits de lettres de Charles Maurras à sœur Madeleine de Saint-Joseph :
Note critique • Laurent Joly, « Les débuts de l’Action française (1899-1914) ou l’élaboration d’un nationalisme antisémite », Revue historique, n° 639, juillet 2006, p. 695-718. Laurent Joly, à qui l’on doit une biographie de Xavier Vallat (Grasset 2001) et une Histoire du Commissariat aux Questions juives (Grasset, 2006), publie une longue étude sur l’antisémitisme fondateur, selon lui, de l’Action française. On passera sur l’affirmation, fausse, qu’il n’y avait, jusqu’en 2000, « aucun travail universitaire …ni un seul ouvrage ou article » consacré à l’antisémitisme maurrassien. Pour s’en tenir aux travaux universitaires antérieurs à 2000, on renverra, par exemple, à l’étude de Victor N’Guyen, « Note sur les problèmes de l’antisémitisme maurrassien » dans le volume collectif L’idée de race dans la pensée politique française contemporaine, Editions du C.N.R.S., 1977, p. 139-154. La démonstration qu’entend faire Laurent Joly est la suivante : « Dès les débuts de l’Action française, la haine du Juif et la nécessité d’un combat contre les valeurs qu’il est supposé incarner occupent une place prépondérante. Dans sa pratique, le nationalisme intégral des premières années fut un authentique nationalisme antisémite. » Pour étayer sa démonstration, Laurent Joly s’appuie essentiellement sur deux sources, de valeur inégale nous y reviendrons. Il se réfère, d’une part, aux articles de Maurras parus, jusqu’en 1914, dans L’Action française (bimensuelle puis quotidienne), dans La Gazette de France et dans La Libre Parole. D’autre part, il cite abondamment les Archives de la Préfecture de police de Paris et des « Notes de police » conservées dans le fonds « Action Française » des Archives nationales. Ces archives policières ont été, il est vrai, peu utilisées par les historiens de l’Action française, mais elles ne sont pas une source d’archives parmi d’autres. Ces « rapports des Renseignements généraux » et ces « notes de police » sont-ils fiables ? Quelle crédibilité l’historien peut-il accorder à des faits, à des chiffres, à des propos rapportés dans un rapport de police ? On ne déniera pas toute fiabilité à ce genre de source – officieuse et engagée – mais on doit l’utiliser avec précaution, de manière critique et comparative. Par exemple, Laurent Joly cite six lignes d’une conférence de Vaugeois faite le 20 juin 1899. Il fait cette citation à partir d’un rapport d’un agent des RG. Que ne s’est-il référé au texte lui-même publié dans le n° 1 de la revue L’Action française, puisqu’il s’agit du texte fondateur de l’Action Française ? Il aurait vu que ce qu’a véritablement dit Vaugeois et ce qu’en a rapporté le fonctionnaire des RG diffèrent sensiblement, et pas seulement dans la forme. Sans insister sur cette question de méthode, on sera plus attentif à la démonstration elle-même : « la lutte antijuive » serait, dès l’origine de l’AF, « au cœur du combat contre la République ». Laurent Joly ne méconnaît pas qu’une grande partie de la gauche, est, à la même époque, antisémite. Il en arrive même à estimer que « l’AF tente de séduire les milieux ouvriers grâce à l’antisémitisme ». Mais une telle affirmation est en contradiction avec l’affirmation que « chez Charles Maurras, la haine du Juif occupe une place prépondérante tant dans son univers mental que dans la construction politique qu’il a élaborée ». Soit l’antisémitisme est constitutif de la pensée de Maurras et du programme de l’AF, soit il est instrumentalisé et n’a que pour fonction de « séduire les milieux ouvriers ». En fait, c’est ni l’un ni l’autre. À se focaliser sur la question juive, Laurent Joly en revient à perdre de vue le vrai ressort de la pensée politique de Maurras : la critique de la démocratie et le raisonnement nationaliste. C’est dans sa critique de la démocratie que la question juive a sa place, dans la fameuse description des « quatre états confédérés ». Ce n’est pas anodin – surtout quand on sait l’issue sanglante qu’a voulu donner Hitler à la question juive – mais c’est commettre un anachronisme et une injustice historique que de considérer que dans le Maurras des années 1899-1914 il y avait « une haine du Juif », une haine centrale déterminante de toute sa pensée. La pensée maurrassienne de ces années-là trouve son centre ailleurs comme il l’écrira plus tard : la considération « des besoins du pays, les vides et les creux de la démocratie républicaine appelant les saillants et les pleins de la monarchie, ceux-ci d’autant plus désirés, d’autant plus désirables que, d’un temps à l’autre, les vides s’approfondissaient, les creux se creusaient encore et les événements ne cessaient pas d’y ajouter, comme dit l’autre, ”de grandes et de terribles leçons”. » (Action française, 17 avril 1941). Yves Chiron [1] René Rancœur, « La levée de l’Index en 1939 et le Carmel de Lisieux », Etudes maurrassiennes, t. 5, vol. II, Aix-en-Provence, Centre Charles Maurras, 1986, p. 407-426. [2] Quelques-unes ont été publiées par Lucien Thomas, L’Action française devant l’Eglise de Pie X à Pie XII, Nouvelles Editions Latines, 1965, p. 359-342 et par Pierre Pascal, Maurras, Editions de Chiré, 1986, p. 234-239. |